Regard franciscain sur l'écologie

Le samedi de Pâques 1980, le Pape Jean-Paul II nommait François d'Assise sain Patron de l'Ecologie. Au début du 20ème siècle, il apparaît important pour la famille franciscaine de se poser plus sérieusement les questions relatives à l'environnement en s'interrogeant ce que cela signifie être des successeurs du Poverello à un âge de crise écologique. Voici quelques éléments d'une approche franciscaine du problème.

Une théologie de l'incarnation :

Jusqu'à récemment, la relation de l'Humanité à la nature était relativement simple de sorte que l'héritage de la tradition biblique pouvait être un guide suffisant dans ce domaine. Le problème est beaucoup plus complexe de nos jours et une approche franchement positive de la nature, qui accordera une valeur au monde non-humain est devenu indispensable. Tant que ne s'élargira pas la conscience de l'impact négatif de notre indifférence vis à vis de la nature et de la nécessité de considérer que la survie de la création non-humaine est plus fondamentale que le confort de la société humaine basée sur une consommation croissante, nous ne verrons aucune amélioration notable dans l'état de santé des systèmes naturels sur notre plantète. Or il y a dans la tradition franciscaine les bases susceptibles d'articuler une approche théologique qui constituerait un cadre pensée dans ce domaine.

Une spiritualité de la Création, telle que la développent des auteurs comme T. Berry, M. Fox ou B. Swimme centrées sur une reconsidération de la valeur bonne de la création ont pour beaucoup apporté un coup de fouet à la réflexion. Cependant tout en définissant ce que devrait être le rapport Homme-nature, cette approche éprouve quelques difficultés à définir comment arriver concrètement à ce rapport et se présente un peu comme une utopie.

L'approche franciscaine, tout en s'accordant sur la nécessité d'un rapport plus profond à la nature, abordera ce problème différemment d'autant plus que la Spiritualité de la création semble plus préoccupée par le rejet de conceptions fondamentales du christianisme que par la recherche de solutions aux problèmes sociaux-écologiques qui se présentent à nous.

La théologie franciscaine, christocentrique, réfléchira notamment sur la personnes du Christ et sur les moyens de transmettre aux fidèles l'idée que le bien être de la Création est important aux yeux de Dieu.

L'accent mis sur la signification de l'incarnation du Christ permettra en effet de concilier théologie christocentrique et théologie de la Création. Alors que le besoin est urgent de mettre en avant l'activité salvatrice de Dieu au de là de la seule Humanité, cette approche aidera en outre à établir un lien pour les fidèles entre le Jésus qu'ils célèbrent le dimanche et leur relation à la nature.

Le christocentrisme franciscain

La concision avec laquelle la conception du Christ cosmique dans la tradition franciscaine présente un Jésus impliquant les bases d'une plus grande attention pour le monde naturel est remarquable. La compréhension du Jésus historique telle que la transmettent Bonaventure ou Scotus lie le Jésus de l'histoire aux besoins contemporains d'une réévaluation de notre rapport du monde naturel.

Un approfondissement du mystère de l'incarnation est une porte d'entrée vers une compréhension plus fine de la foi de Dieu en la bonté du monde créé. L'incarnation constitue un pont dans la relation entre Dieu et l'humanité, et entre Dieu et le monde créé dans son ensemble. Par elle, Dieu a choisi en effet de sacraliser le monde plus profondément que jamais. Et cette foi en la bonté de la création a toujours été présente dans la tradition franciscaine ; mais nous sommes arrivée à une situation qui demande de donner plus d'importance à cette composante qu'auparavant.

Dans son essai sur John Duns Scotus, Incarnation, Individualité et Diversité, Kenan Osborne écrit :

Jésus, dans son humanité, sacralise la finalité de la totalité du monde créé par Dieu, un monde dans lequel la liberté de l'Homme et sa "non-liberté" (péché) existent. Le monde entier est sacralisé, pas seulement sa composante agréable. L'incarnation commence pourrait-on dire avec le premier acte de Dieu ad extra, avec le premier moment créateur de notre monde. La création est un processus se déployant à travers l'histoire de notre monde créé, et chaque étape successive donne à la compréhension et à la finalité du monde, son "pourquoi" un plus grande clarté. Nous comprenons la création mieux que jamais : c'est une expérience montante de même que plus haut on gravit une montagne, plus vaste et plus lointaine devient notre vision. Dans l'événement de Jésus une plus grande révélation de la signification et du pourquoi de la création trouvent place. L'incarnation est le sens du monde et de l'histoire.

Cette compréhension de l'incarnation est profondément christocentrique et en même temps embrasse le monde matériel comme quelque-chose de bon. La générosité de Dieu pour nous s'exprime à travers la Création et l'incarnation du Christ sacralise cette création.

Le cosmos tel qu'en parle Saint Bonaventure et le premier livre de la révélation de Dieu. Et la signification du cosmos se concentre dans l'humanité et dans l'incarnation du Christ. Ainsi, une doctrine de la primauté du Christ guide le croyant vers une compréhension du sens profond du cosmos. Et jamais probablement dans l'histoire cette doctrine du Christ cosmique n'a été aussi importante qu'à présent.

Jesus n'est donc pas inutile à la résolution de nos problèmes environnementaux. Alors que François n'était pas une théologien confirmé, il avait une perception profonde de l'Amour de Dieu exprimée à travers sa Création. François, Bonaventure, Scotus ont prêché une théologie suffisamment large pour englober le Christ des écritures, notre tradition chrétienne et une théologie présentant la nature comme fondamentalement bonne.


Le péché écologique...

François connaissait également le cÇ ur humain et son remède pour le guérir a été la repentance. Il se définissait lui même comme un pénitent et à choisi de suivre Jésus comme tel. Bien que la situation écologique soit de nos jours assez différente de celle d'alors, plusieurs dimensions de l'acte de repentance pourraient nous aider face aux problèmes environnementaux. Entre autres : l'humilité exprimée à travers la pauvreté et la simplicité ; le service du pauvre, du vulnérable et du marginalisé, la participation au mystère de l'Eucharistie et les actions pour la paix.

On voit ici encore une nette distinction avec les spiritualités de la création qui tout en célébrant magnifiquement la beauté de la nature ne savent prendre en compte la partie obscure de l'Homme, son pêché ni par suite la nécessité de sa repentance.

Les deux causes majeures de destruction de la nature sont une consommation compulsive et l'indifférence chronique. Or aussi bien les spiritualité de la Création que les principaux courants chrétiens ont jusqu'à ce jour échoué dans la prise en compte de la dimension écologique du péché.

Nous autres américains ne vivons que grâce au pillage des richesses naturelles et du monde sous-développé et nous n'acceptons pas d'intégrer cette attitude à la définition du péché. Sans mise en avant de l'acte de repentance la spiritualité de la création restera une utopie ou une vision eschatologique.

La relation fraternelle entre les créatures...

La spiritualité de la création cependant nous force à nous interroger sur ce que le rapport humanité/nature devrait être. Une réflexion sur les écrits et la spiritualité de François met en évidence que le modèle de toutes relations auxquelles participent les Hommes se basent sur le modèle de la famille. Les deux textes les plus clairs à ce sujet sont le Cantique des créatures et La première lettre aux croyants. Dans cette dernière, François explique comment notre choix de se repentir nous met en relation avec Jésus. Lorsque nous nous repentons, nous devenons épouse, frère, et mère de Jésus (1EpFid 1:17). Le thème majeur de cette partie de la Lettre est que nous nous lions à Jésus lorsque nous faisons acte de pénitence.

Le concept de relation familial sous-tend également la pierre d'angle de la vision théologique de François : "Le cantique des créatures". Avec une force évocatrice exeptionnelle, ce poème exprime la valeurs intrinsèque des éléments naturels et leur lien avec Dieu comme avec l'Homme. François apprécie la richesse du royaume des plantes : "Loué sois-tu Seigneur par notre mère la Terre, qui nous soutient et nous dirige, et qui porte fruits variés, fleurs chatoyantes et diverses herbes" (CanSol 9). Il admet que nous autres humains sommes soumis au pêché et avons besoin du pardon, mais il affirme en même temps la vérité encore plus profonde que nous sommes tous des êtres liés les uns aux autres.

Je pense que François n'a pas seulement été nommé saint Patron de l'écologie parce qu'il aimait la nature mais également parce-qu'il a su articuler une vision mystique de l'interdépendance des créatures de la création, dans sa vie comme dans son Cantique.

Dans le Cantique des créatures, nous comprenons la vision de la nature chez François comme une expression sacramentale de l'amour de Dieu, un amour qui nous lie en une relation d'interdépendance.

Comme à l'époque de François, nous vivons à une période qui nie la valeur intrinsèque de la nature. Notre société sans freins, voyage, détruits et pollue le milieu naturel au nom du profit économique. C'est une négation de l'incarnation.

 

L'apport franciscain

Une des forces de la tradition franciscaine a été la diversité de ses réponses à l'Amour de Dieu. Il y a plusieurs façons pour notre ordre de s'engager contre les menaces qui pèsent sur notre soeur et mère la terre. Je voudrais mette en avant deux thèmes particuliers : la justice environnementale et la biodiversité écologique.

La justice environnementale lie deux dimensions de notre charisme franciscain : la préoccupation pour la création et l'option du pauvre. Cette notion rattache en effet problématiques environnementales et questions sociales en soulignant l'impact disproportionné des pollutions sur les pauvres. Les quartiers à revenus modestes souffrent plus que ceux dont les revenus sont plus confortables car ils n'ont pas les moyens de se défendre contre ceux qui ont plus de pouvoir social et politique. Alors que le contraste entre les corps obèses des nations riches et les corps amaigris d'enfants de certains pays pauvres est une évocation puissant, le racisme environnemental est aujourd'hui devenu lui aussi, une expression d'injustice. Par exemple les Immigrés mexicains travaillant dans les plantations aux USA sont soumis aux effets néfastes des pesticides. L'agrobusiness s'oppose à tout effort de limitation dans l'usage de ces pesticides mais lorsqu' un accident survient dans les champs, les médias ne disent mot de ces problèmes qui ne concernent pas "leurs audiences".

 

Pour ceux qui ne se sente pas encore à l'aise avec le problème de la création ou ont du mal à voir le rapport entre leur foi et les questions environnementales, la justice environnementale et un point de départ idéal. Quiconque a à cÇ ur la justice divine peut voir les effets néfastes de l'injustice environnementale aux USA et dans le monde. La justice environnementale est bien sur plus qu'un simple "point de départ" mais nous pouvons commencer par exprimer notre solidarité avec les communautés humaines et non-humaines en s'impliquant dans l'amélioration dans la défense de leur bien- être.

Le second thème, la biodiversité environnementale, parle de l'interdépendance des diverses espèces de plantes, d'animaux et d'insectes sur notre planète. Lorsque l'activité humaine porte atteinte à une espèce quelconque, son impact s'étend souvent à de nombreuses autres formes de vie. Dans l'écosystème de Yellowstone par exemple, il n'y a plus que 200 grizzly ; ce sont les seuls grizzly américains hors de l'Alaska. Ils ont décliné pour plusieurs raisons, principalement la destruction et la fragmentation de leur habitat. Mais des écologistes ont suggéré qu'un paramètre complémentaire peut avoir été la destruction de la population de loups au début du 20ème siècle. Les Grizzly ne sont pas assez rapide pour la chasse aux daims, bisons et autres mais lorsque les loups étaient présents, les ours avaient l'habitude de rechercher les proies tués par ces derniers, chassaient les loups profitaient des restes de carcasses. Peut-être qu'en réintroduisant les loups dans cet écosystème en 1995, nous avons en même temps aidé les ours.

Nos écosystèmes ont besoin de toutes leurs composantes, de toutes leurs espèces. Mais la biodiversité écologique n'est pas un concept abstrait déconnecté de notre vie quotidienne. De nombreux médicaments utilisent des éléments chimiques extraits des plantes tropicales rares. Ou encore, la population des Etats Unis utilisait une diversité bien plus grande d'aliments autrefois qu'aujourd'hui mais l'agriculture industrielle considère plus facile de ne gérer que quelques espèces végétales. En raison de la dérégulation du climat sur notre planète, la diversité biologique est encore plus nécessaire de nos jours. Une telle diversité entre espèces et au sein d'espèces définies permet une plus grande flexibilité dans la réponse de la nature au changement climatique.

Le psaume 148 et le cantique des trois jeunes gens dans la fournaise (Daniel 3:56-88) sont les deux textes des écritures qui ont la plus évidente influence sur le Cantique des créatures et l'un comme l'autre font l'éloge de la biodiversité -poissons, monstres de la mer, différentes espèces d'arbres, d'animaux, d'animaux rampants, d'oiseaux, toutes choses poussant sur la terre. Dieu aime toutes sortes de diversités et d'individualité ; sinon Dieu n'aurait pas fait la Création ainsi !

Le christianisme a donc célébré la diversité mais nous chrétiens n'avons jamais été confrontés à la protection de cette diversité comme aujourd'hui.

Puisqu'aussi bien François que l'Ecriture sont aussi éloquents sur la diversité des créatures, nous sommes tous appelés à en être aussi les protecteurs.

Peut d'autres chrétiens possèdent une tradition aussi riche que les franciscains concernant la relation à la création non humaine et la compréhension du rapport diversité/individualité. Par suite, nous franciscains sommes exceptionnellement bien placés pour traiter des question de la diversité des espèces et nous faire les avocats de toute forme de vie.

Conclusion

Bien que sur de nombreux problèmes environnementaux la famille franciscaine puisse travailler, la meilleure manière pour nous d'aider l'Eglise et le monde, est de formuler une spiritualité franciscaine de l'incarnation qui unisse christocentrisme et amour de la création. Les questions écologiques, de biodiversité et justice environnementales sont plus clairement que jamais associées aux thèmes traditionnels de la réflexion franciscaine. Nous avons tous été attiré par le charisme de François et nous désirons l'intégrer dans notre vie et notre ministère. Nous sommes en mesure par la parole ou la diversité de nos actions de présenter un évangile suffisamment large pour intégrer les problèmes de la Création.

Keith Warner OFM, 1998

Traduction de l'anglais : Damien Gangloff